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il aimait la campagne et, dans son jardin désordre, les asters bêtes et tristes et le grand plant d’asperges où l’on coupait, à l’automne, des brassées de feuillages roux que sa mère disposait dans les vases du salon pour faire un fond aux chrysanthèmes.

Il aimait aussi les mots d’où partent, mieux que des gares, les vrais rapides qui nous entraînent.

Il aimait la lecture et l’encre, maintenant cette femme.

Germaine parle de Venise : « Viendrez-vous ? J’ai un vieux palais sur le grand canal, des plantes fleurissent entre ses marches. C’est la saison de Venise. Pourquoi ne pas partir. De la terrasse on voit, comme des ombres, les gondoliers sur leur grande semelle qui glisse. »

À minuit, ils remontent les Champs-Élysées. La femme embaume dans ses fourrures mieux qu’une bête au cœur magique et plus qu’une plante dont la nuit dénoue les parfums. Un peu de vent agite les grands arbres de l’avenue Gabriel où dorment d’autres guignols, et Daniel, son bras serré contre cet autre bras inconnu, divague doucement d’un amour qu’il crée à mesure.

— « Jamais, dit-il, je n’aurais cru qu’un être comme vous puisse exister, madame. Sans doute je vous attendais, car je ne me souviens pas d’avoir écouté quiconque avec cette passion. »

— « Vous mentez, dit-elle, Vous êtes si jeune que vous croyez au prestige de cette jeunesse sur ceux qui ont déjà souffert de l’amour, mais vos phrases ne me touchent pas. Je les ai trop dites moi-même et trop entendues dans le vide et le hasard des rencontres qui ne mènent qu’à plus d’égoïsme et de silence. Je ne vous demande pas de m’aimer, je connais l’amour mieux que vous, c’est un poison terrible qu’il faut chasser, une