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Cette halte n’était pas bonne. À vingt ans, du reste, quelle folie de vouloir se reposer dans l’amour. Il se lève cette fois, résolu.

—  « Adieu Germaine, pardonnez-moi d’avoir dérangé votre vie quelques jours, mais en effet, votre mari vous aime et vous l’aimez, mon amitié est déjà trop violente. Je ne reviendrai plus, c’est mieux. »

—  « À quoi bon cependant m’abandonner, dit-elle, croyez-vous qu’entre Jérôme que j’ai tant aimé et vous que j’aime presque, je ne sente pas mon isolement. Je suis vieille pour vous, même pour Jérôme peut-être, il me reste des souvenirs. Avec vous, si j’avais le courage, je pourrais sans doute recommencer cette vie que Jérôme n’a pas comprise, mais qui sait, vous me décevriez peut-être encore. Je suis fatiguée des souffrances de l’amour, fatiguée d’éduquer, d’espérer, de donner. Vous êtes l’enfant qu’il m’aurait fallu. Je vous comprends mieux que personne au monde, mon petit Daniel, je me retrouve tout entière en vous et c’est pourquoi, je sais mieux que vous, les tourments qui vous attendent. En ce moment, vous êtes pur, sincère, ardent. Mais la vie vous matera et vous perdrez cette belle audace, vous deviendrez comme les autres, comme Jérôme, comme moi, vous renoncerez à tout successivement et puis vous désirerez faire mal à votre tour, dominer. Tenez, voici Thérèse avec le dîner. Asseyez-vous encore une fois. Après, il sera temps de savoir si réellement nous devons nous séparer. »

Une petite table avec les argenteries, les cristaux, les vins clairs est vite dressée devant le feu qui dort. Thérèse et le valet semblent surpris du convive qui remplace le maître.

—  « Monsieur ne rentre pas ? »

—  « Non, dit Germaine, « Monsieur » le voici pour ce soir. »