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— « Je te le dis, danser un peu. Viens-tu ? »

— « Non, il fait froid, dehors. »

— « J’ai une voiture, en bas », dit-il comme s’il était réellement en visite.

— « Non, va… nous sommes mieux ici. » Elle enveloppe d’un regard, exprès complice, Daniel qui feuillette un livre.

— « Hé bien, dit Jérôme, bon appétit. »

— « Tu ne rentres pas dîner ? »

— « Non ». La porte tape.

— « Jérôme », crie encore Germaine.

La porte de l’antichambre lui répond. Alors nerveusement, elle éclate en sanglots.

— « Pourquoi l’avez-vous laissé partir. Il a cru que nous le trompions. Vous étiez là, sans rien dire. Il fallait que l’un de vous deux s’en aille, mais pas lui, certes, pas lui. Il est chez lui ici, vous comprenez bien que c’est par dépit qu’il s’en va danser à cette heure et non par plaisir. Mais depuis qu’il vous rencontre toujours, il préfère sortir. »

Elle essuie ses yeux d’un fin mouchoir rose, soigneusement pour que le fard ne se dilue point.

Daniel est si triste qu’il ne sait que faire.

Il sait qu’il est encore une fois le troisième, celui qui gêne et désaccorde un couple. Il n’aide qu’à exciter l’amour de Jérôme pour Germaine, qu’à les provoquer l’un contre l’autre. Sa vie n’est pas ici dans ce salon si doux, enclos de livres et de fourrures, loin du monde. La rumeur de Paris souffle sous la porte, il la retrouve le soir, au tournant de la rue. Mais ici, une atmosphère de conte accompagne, comme un orchestre sourd, les gestes et les souffrances, et l’on ne sait trop si c’est mourir ou vivre qu’il faudrait, tant dans les lieux d’une grâce amoureuse et chaude, les deux se confondent comme à Venise.