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— « Chut ! »

— « Continuez, Germaine, racontez-moi votre mariage ; quand vous parlez, je souffre moins. »,

— « Jérôme et moi, nous nous sommes beaucoup écrit. Il avait une belle écriture. Il parlait des livres que nous aimions, cette belle histoire de Laforgue : Pan et la Syrinx : « Il faisait beau à perte de vue. » Un soir il est venu, nous étions seuls, je l’ai reçu dans la chambre où un grand feu brillait comme ici. Je l’ai gardé.

Après, il n’a plus voulu partir. Je ne l’aimais pas encore, mais je le voulais bien comme amant. Hélas, il a fallu l’épouser. Je me suis débattue jusqu’au jour de notre mariage, mais la volonté d’un homme est terrible. Le soir, j’ai jeté mon alliance dans la rue, là, en bas, Thérèse est allée la chercher avec une lanterne. (Elle rit à ce détail de lanterne qui évoque la campagne, une carriole, la messe de minuit.) Après, il y eut Venise. Au début, j’étais intoxiquée, j’avais longtemps fumé l’opium. Jérôme me l’a défendu, il a préféré à cette drogue celle de l’amour. Il m’a fait voyager, nous nous sommes aimés. Ah ! je peux dire, moi je sais ce qu’est l’amour absolu, c’est pire que tout. Quelle dévastation ; moi j’ai aimé Jérôme comme je vous souhaite d’aimer, mon petit Daniel. C’est la seule chose qui vaille dans la vie. On la cherche. On la possède. On en meurt. L’amour que Jérôme avait pour moi ne pouvait se comparer au mien. Je l’aimais aussi comme mon enfant, mon fils bien-aimé avec lequel je couchais pour connaître son âme.

Je lui appris l’amour. Jusqu’alors, il n’avait sans doute couché qu’avec des filles. Ce fut une rééducation de tout son corps, de tout son cœur. Vous ne connaissez pas Venise. Imaginez notre maison : c’est un vieux palais sur le Grand-Canal avec des fenêtres hautes, il y a derrière un de ces rares jardins de Venise, avec des cyprès,