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Daniel est tellement triste à l’idée de toutes ces morts prochaines qu’il en a un peu oublié le motif de sa fureur. Il continue sa promenade à travers le salon bleu, tout à fait comme le fourmilier du Jardin d’acclimatation, et soudain l’idée de jouer à la marelle lui vient à cause des damiers noirs et blancs du tapis.

— « Je ne savais pas que vous aimiez tant votre mari, dit-il en sortant de son rêve, ni que mes visites… »

— « Naturellement j’aime mon mari, à moins que ce ne soit vous, Daniel. Il fallait venir dix ans plus tôt, vous êtes stupide, les jeunes gens sont stupides. Au moins, il y a dix ans, vous aviez un col marin, à peine toutes vos dents, vous m’auriez beaucoup plu. »

Elle rit.

— « Mettez donc une bûche dans le feu, il meurt et je crois que le froid vous rend méchant. »

— « Je suis donc une sous-Thérèse. »

Il se penche vers la cheminée. À ce moment la femme de chambre Thérèse, la vraie, entre avec le plateau du thé et Germaine ne peut voir combien encore une fois Daniel est près des larmes.

Il est assis à ses pieds près du feu, à côté d’un chat de porcelaine dont il a cassé l’oreille, paraît-il, un jour que Germaine l’ayant peut-être, un peu trop impatienté, il s’était enfui brusquement. Il tourne dans la tasse bouillante une fine cuillère d’argent qui tinte. Sa colère est bien tombée. Il ne ressent plus qu’un chagrin très violent qui le rend docile comme si on l’avait roué de coups.

— « Germaine », dit-il, et il s’appuie à ses genoux soyeux, la jupe remontée découvre le bas de soie et la chaussure parfaite ; puis, soudain humble, il dépose la tasse qui renverse et baise