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UNE LECTURE


Un salon très élégant, dans un demi-jour mystérieux… Çà et là, de mourantes étoffes retombent et d’étranges lys dressent leurs calices d’or, sur des fonds rouges de chapelle… Byronnet, l’illustre psychologue, est assis, presque couché en une pose alanguie, devant une table de laque, sur un divan, où quelques feuillets d’un manuscrit sont épars… La baronne Hopen et Madame Boniska, assises de l’autre côté de la table, sur des fauteuils bas, regardent Byronnet, attentives et défaillantes. Byronnet, avec des gestes menus, dispose les feuillets de son manuscrit, verse ensuite quelques gouttes de vin de Porto, dans un verre, qu’il porte délicatement à ses lèvres…


La baronne Hopen

Oh ! Byronnet… Nous languissons.

Madame Boniska

Nous languissons tellement… Byronnet…

Byronnet

I begin… Hem !… Hem !

La baronne Hopen

C’est une histoire d’amour, n’est-ce pas ?

Byronnet

Que voulez-vous que ce soit d’autre ?…

Madame Boniska

Et d’amour mondain ?

Byronnet

Mais quelle question !… Y en a-t-il donc un autre ?… Et comment concevoir cette idée tellement amère, qu’il peut exister, quelque part, d’autres âmes que les vôtres ? Et comment concevoir aussi cette catastrophe, qu’il pourrait se faire que je ne fusse plus votre psychologue ?… Me voyez-vous décrire les frolies… comment appelez-vous cela, en français ?… les frolies ! … ah ! les fredaines d’une pauvresse !…