Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La foule

À mort !… à mort !…

La foule a déjà envahi la seconde marche, Philippe Hurteaux a gagné la plate-forme et, se ruant sur Jean Roule qui les bras toujours croisés, la tête haute, ne se défend pas, lui a mis la main sur l’épaule. Tout à coup, Madeleine se dresse toute droite, étend ses bras en croix, en déployant les plis de sa mante, comme deux ailes. Un gréviste, qui était parvenu jusque-là, recule.
Madeleine, d’une voix forte.

Arrière !… arrière !… (Arrêt dans la foule. D’une voix plus forte.) Arrière, vous dis-je !… (Le mouvement de recul s’accentue.) Arrière encore !…

Philippe Hurteaux a lâché Jean Roule ; des gestes s’immobilisent. Toutes les faces, tous les regards se tendent vers Madeleine.
Voix dans la foule, par-dessus les cris diminués.

C’est Madeleine !… c’est Madeleine !…

Madeleine, le silence s’est fait.

Je ne suis qu’une femme… et vous êtes des hommes ? Mais je ne vous laisserai pas commettre un crime ici ! — Non seulement je ne vous laisserai pas toucher à celui que j’aime, au héros de mon cœur… et dont je porte un enfant dans mes flancs !… Je vous défends d’insulter… (Elle montre d’un grand geste, le Calvaire.) à cette Croix, où depuis deux mille ans, sous le poids de vos misérables haines, agonise celui-là qui, le premier, osa parler aux hommes de liberté et d’amour !… Arrière !… donc… arrière !… arrière !… arrière !…

Ceux qui avaient envahi les marches reculent. La fureur mollit aux visages. Des dos se courbent.