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Madeleine

Comme elles sont brûlantes, tes mains !… (Un silence.) Tu souffres… de la faim ?

Jean, secouant la tête.

Je souffre de n’avoir plus confiance. Ils m’échappent de plus en plus, ma chère Madeleine… Les uns sont las de lutter… les autres se croient trahis… parce que je les ai voulus des hommes !… C’est toujours la même chose !… Si nous n’avions pas reçu de Belgique cet argent qui leur a permis de manger un peu, depuis deux jours, ils auraient déjà tout lâché !… Ton père, lui-même !…

Madeleine

Oh ! le père est malade !… C’est trop d’émotion pour lui !… Depuis votre entrevue avec Hargand, à peine s’il sait ce qu’il dit !… Il n’a plus sa raison.

Jean

Sa pensée est au château, avec le maître !… Il s’est repris à sa servitude… Les autres aussi, va !… Et puis, quand le soupçon est entré dans l’esprit des foules… c’est fini !…

Madeleine

On exploite leur faiblesse et leur ignorance… C’est naturel… et tu devais t’y attendre !… Mais tu peux les reconquérir !…

Jean, secouant la tête.

Ils ne savent donc pas ce que c’est que le sacrifice…