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encore, avec un orgueil plus féroce et plus âpre, vous êtes pareils à ceux d’il y a cent ans… Quand la Révolution était déjà sur eux… qu’elle leur enfonçait dans la peau ses griffes, et qu’elle leur soufflait au visage son haleine de sang… ils disaient, comme vous : « Mais non, ça n’est rien ! ç’a toujours été comme ça !… L’heure du pauvre ne viendra jamais !… » Elle est venue, pourtant… avec le couperet !…

Capron

Qu’est-ce que vous nous chantez-là ?… La Révolution !… c’est nous qui l’avons faite !

Robert

Vous l’avez faite !… mais elle vous emporte aujourd’hui !… (On entend un bruit confus, des clameurs encore lointaines, des chants. Robert ouvre la fenêtre et la main dans la direction du bruit.) Entendez-vous, seulement ?…

Tous ils tendent le cou vers la fenêtre.
Capron

Qu’est-ce que c’est ?…

Robert

C’est le Pauvre qui vient !… (Silence dans l’atelier. Les clameurs se rapprochent. Les chants se précisent. Tous les trois ils écoutent, le cou, de plus en plus étiré, immobiles, très pâles.) C’est le Pauvre qui vient !… le Pauvre que vous niez, monsieur de la Troude… le Pauvre que vous labourez, que vous soulevez en grosses mottes rouges, monsieur Capron. (Les cris de : « Vive la grève ! » sont presque distincts.) L’entendez-vous venir, cette fois ?… Il vient ici aujourd’hui… Demain, il sera partout ?… (Dans le bruit sourd, le roulement d’une troupe en marche, on entend les rythmes de la Carmagnole.)