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Jean, ironique.

Grand merci du cadeau… je sais ce qu’il coûte… Ah ! vous êtes populaire, ici !… Dans les flammes, dans les fumées, brûlés, dévorés, convulsés, des milliers d’êtres humains, des milliers de fantômes humains travaillent ici… espérant de vous, ils ne savent quoi… Aujourd’hui, vous êtes le rêve lointain de leur affranchissement… votre nom berce leurs chimères, et endort leurs révoltes… Et demain, vous serez… allons, avouez-le… député ?…

Robert

Ne raillez pas… Cela n’est digne ni de vous… ni de moi…

Jean, très grave.

Je raille ?… Est-ce que vraiment, je raille… (Montrant la chambre de la mourante et parlant d’une voix plus sourdement étouffée.) Ici… dans cette maison, au seuil de cette porte, derrière laquelle une pauvre femme meurt de vous, comme sont morts de vous ses deux fils, des hommes de vingt ans… comme ceux-là… (Montrant les enfants endormis.) mourront de vous, demain ?… Ah ! vous m’apportez la vie ?… vous m’offrez le bonheur ?… Allez donc au cimetière, là-bas… au petit cimetière qui souffle sur nous, le soir, une odeur aussi empestée que celle de vos usines… allez et remuez-en la terre… et faites le compte de tous ceux-là qui sont morts pour vous… oui, pour vous… et pour que vous puissiez vous payer le luxe, aujourd’hui, d’être l’ami de ma souffrance et de ma misère… Mon ami ?… Mais comment donc ?… Non, vous savez… c’est trop cher.