Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.

coups. Avec une gaîté sinistre… avec de véritables rires d’assassin… il nous disait comment il avait roulé celui-ci… volé celui-là… déshonoré cet autre… Tu me reproches de n’avoir pas de pitié ?… Ah ! Lucien… mais je n’ai vécu que de pitié durant ces années maudites… Je ne pouvais croiser dans la rue une femme et des petits enfants en deuil, sans me dire : « C’est peut-être de notre faute ! » Je ne pouvais voir pleurer quelqu’un sans me dire : « C’est peut-être à cause de nous qu’il pleure ! »

LUCIEN, avec une tendresse profonde.

— Pourquoi aimes-tu à te torturer ainsi ?…

GERMAINE

Je suis payée pour cela… malheureusement… As-tu entendu parler de Gabriel Dauphin, le banquier !

LUCIEN

Oui.

GERMAINE

Et sais-tu comment il est mort !

LUCIEN

Je sais qu’il s’est tué…

GERMAINE

Il s’est tué à cause de nous… (Mouvement de Lucien) Oui, à cause de nous… Je ne pourrais pas bien t’expliquer toutes les péripéties de ce drame… Je ne connais pas les affaires, moi… Mais voici ce que j’ai compris… ce que j’ai surpris… ce qui se chuchota… partout… à Paris… Les journaux ?… Mon père était leur confrère…