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qu’il décore du nom d’affaires… et des meurtres… Voilà son histoire !

LUCIEN

Tu ne vois que le mal… et jamais le bien qu’il y a toujours à côté du mal… Mais en dépit de ce qu’est ton père… de l’homme terrible qu’est ton père… il a fait de grandes choses…

GERMAINE

Et que m’importe… puisqu’il n’a rien fait pour moi… De grandes choses… Ah ! laisse-moi aller jusqu’au bout… J’ai besoin aujourd’hui de crier tout mon dégoût… devant toi… Quand j’aurai fini… tu comprendras peut-être — et tu décideras… C’est entre ces deux êtres-là… que j’ai vécu… que j’ai grandi… Une abandonnée… une étrangère… moins qu’un animal domestique… Notre maison… notre hôtel à Paris… notre château ici… tu les vois, n’est-ce pas ? Et tu m’y vois !… Un enfer où… pas une fois… je n’ai rencontré des yeux tranquilles et des visages heureux… où… pas une fois… je n’ai entendu la musique d’une parole de douceur et de bonté… La hâte… la fièvre… le malheur… le rire grimaçant, l’apothéose du crime !… Des gens venaient sans cesse… puis repartaient qu’on ne revoyait plus… comme ces deux imbéciles, arrivés ici… je ne sais d’où… et qui vont s’en retourner ce soir… ruinés dans leur fortune, s’ils en ont, et dans leur honneur s’il leur en reste encore. (Un temps. — D’une voix plus douloureuse.) Figures de complices, quelquefois… mais, le plus souvent, figures de victimes… et pauvres figures inconnues… plus douloureuses de m’avoir été révélées… sanglots et détresses… par les récits de mon père… Car… le soir, à table, devant les étrangers et devant nous… il nous racontait ses bons