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LUCIEN

Ma pauvre Germaine !… (Il attire Germaine contre lui… lui prend la tête, avec des mouvements caressants et doux.) Chère petite tête sauvage… Ah ! si je pouvais y faire entrer plus d’indulgence et plus de pitié !… Si je pouvais… (Il lui embrasse le front.)… mettre là… un sens plus vrai de la vie !… (Il la regarde ensuite longuement.) C’est de toi-même que tu souffres, plus que de ton père…

GERMAINE

Mais non… mais non…

LUCIEN

Si… si… Tu souffres d’entretenir en toi un rêve au-dessus de l’humanité… Et ton idéal de justice absolue te prépare… oh ! crois-moi… un avenir de douleurs… Je ne suis pas un saint, moi non plus… Je suis, comme tout le monde… un composé de bien et de mal… de mal, peut-être, plus encore que de bien… Qui me dit que, le jour où tu t’apercevras que je ne suis qu’un pauvre homme… un pauvre homme de la terre… tu ne me haïras pas de n’être plus la radieuse chimère que tu avais créée en toi ?… Et alors… que deviendras-tu ?

GERMAINE

C’est stupide ce que tu dis là…

LUCIEN

Non, c’est humain… Et tu retrouveras partout avec plus ou moins d’intensité… et sous d’autres formes… ce que tu as vu… ici… chez toi… Les décors peuvent varier où l’âme de l’homme habite… mais l’âme est la même… ou si peu différente… C’est la pauvre âme humaine avec ses appétits, ses intérêts, ses passions destructives… ses