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Premier ramoneur

C’est… Oui… C’est…

(Il s’endort aussi).

(Silence. La nuit se poursuit. Et la lune éclaire le petit tas tout noir des ramoneurs, enlacés l’un dans l’autre, la main dans la main).

(Le lendemain, dès l’aube, un cantonnier apparaît sur la route, poussant devant lui une brouette, pleine de sable…)

Le cantonnier

Mazette !… Quel froid ! Comme la route est glissante ! Va falloir que je remette encore du sable !… Si je serais pas mieux, chez moi, au coin du feu, je vous demande !… Bon dieu de bon dieu !… Et ça va en faire une saleté, au dégel !… Ah ! ben, ça va en faire une saleté !… Mazette !… quel froid !… Je crois que je n’ai jamais vu un froid pareil !… Qu’é qu’c’est que ça ?… (Il aperçoit dans le fossé les deux petits ramoneurs). Ah bien ! par exemple !… c’est des ramoneurs. Faut-il être enragé pour dormir sur la terre, d’un temps comme ça… Les ramoneurs !… ça a le diable dans le corps !… (Il s’approche des ramoneurs). Dorment-ils donc, ces enragés… (Il se penche sur eux)… Hé ! là-bas !… Ah ! mais, ils dorment, ils dorment ! Hé là-bas ! (Il les secoue)… Tiens ! tiens !… Ils sont raides et durs comme des racines de charme… Hé ! là-bas !… Tiens ! tiens !… Ils sont tout froids, quasi comme des glaçons !… Hé là ben !… ah ! ben !… En v’là une histoire !… Ils ne bougent point… Mais je crois qu’ils sont morts !… (Il les palpe, les retourne, tout raidis)… Mais, oui, ils sont morts… Sacrés ramoneurs, va !… Faut-il être enragé aussi, pour dormir sur la terre, par un froid pareil… Ah ! ils sont ben morts !… Quoi que j’allons faire de ça ?… Faut que j’aille prévenir les gendarmes… (Il se relève, remise dans le fossé sa brouettée de sable et se dirige vers le bourg)… Mazette qu’il fait froid ! comme ça glisse !… Faut-il être enragé… Oh ! les enragés !… (Il disparaît au tournant de la route)


OCTAVE MIRBEAU.