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Deuxième ramoneur

Oui, je crois qu’on est mieux… Peut-être qu’il fera bon demain !… Peut-être qu’il fera chaud demain, dis ?

Premier ramoneur

Oui, il fera chaud demain… Et nous pourrons retourner au pays. Approche-toi encore plus près…

Deuxième ramoneur

C’est loin, le pays !… C’est bien loin d’ici, pas ?… Il faudra longtemps, longtemps pour y arriver, dis ?

Premier ramoneur

Oui… mais s’il fait chaud, qu’est-ce que ça fait ?

Deuxième ramoneur

Pourquoi n’y a-t-il pas de montagnes par ici, comme chez nous ?… Des plaines, de grandes plaines, rien que des plaines. Je n’aime pas ça… Ça me donne envie de pleurer… Dis, pourquoi qu’il n’y a pas de montagnes ?

Premier ramoneur

Je ne sais pas… C’est peut-être parce que c’est un mauvais pays…

(Un silence.)
Deuxième ramoneur

Pourquoi notre maître est-il mort ?… Il n’aurait pas dû mourir… J’aurais mieux aimé encore qu’il nous batte…

Premier ramoneur

Il nous battait quand il avait trop bu… Mais ce n’était pas un méchant maître…

Deuxième ramoneur

Il n’aurait pas dû mourir… Nous aurions moins froid…

Premier ramoneur

C’est vrai… Il ne nous donnait pas beaucoup à manger… Mais nous avions moins faim…

Deuxième ramoneur

Non ça n’était pas un méchant maître… Il était moins méchant que le chien de la ferme !…