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— On t’embête, parce que tu es quincaillier… Moi, ça m’est égal que tu sois quincaillier… Tu me plais tout de même… Tu es gentil, et je t’aime bien.

Jean de Kerral était de petite taille, mais trapu et très laid à cause de son profil en forme de tête de poisson, et de son visage piqueté de taches de rousseur. Ses yeux, vifs et bons, plurent à Sébastien. Il avait des gestes menus, un peu fébriles et cassés, une voix douce, gazouillante, comme un oiseau, et, comme un oiseau, en marchant, il sautillait. On l’appelait, dérisoirement, le bon Samaritain. Jean avait, en effet, dans la cour, une spécialité évangélique : il protégeait les faibles, et consolait les tristes. Dès qu’un élève était mis en quarantaine, pour une raison quelconque, ou battu, ou hué, il allait à lui, l’accablait d’amitiés bruyantes, l’étourdissait d’incohérentes effusions. Il était miséricordieux et loquace, et si généreux qu’il se fût dépouillé de tout ; mais ses parents, qui connaissaient cette manie, ne lui laissaient rien. Cet enthousiasme durait quelquefois huit jours. Après quoi Jean lâchait son ami, aussi spontanément qu’il était allé à lui, pour courir à un autre.

Il dit encore :

— Ça me faisait de la peine de te voir seul, toujours… Pourquoi que tu t’en vas, chaque fois qu’on s’approche de toi ?… Pourquoi que tu ne joues jamais ?…

Un autre élève accourait, débraillé et soufflant.

— Ah ! c’est Bolorec ! expliqua Jean de Kerral… Je l’ai retenu aussi pour la promenade… Il est très gentil, Bolorec… Il me plaît tout plein.