Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.

étiolante. Il s’habilla, à la hâte, gauchement, négligeant de se laver, de peur d’être en retard, et, sans trop savoir comment cela s’était produit, il se retrouva, au milieu d’une longue file, heurté, bousculé, et flanqué de deux compagnons, ainsi qu’un malfaiteur, entre deux gendarmes. La file s’ébranla. Il revit les escaliers, les saints de plâtre, les couloirs percés de larges fenêtres, par où des cours rectangulaires, des petits jardins souffrants, des espaces carrés en forme de cloître et de préau, s’apercevaient uniformément enclos de hauts bâtiments qui leur donnaient un jour crayeux, d’une dureté, d’une tristesse infinie. Distraits, bâillant, les élèves entendirent la messe dans une chapelle sombre, basse, étouffante, sorte de tribune s’ouvrant latéralement sur la nef publique, haute et voûtée, dont on ne voyait, en raccourci, qu’une partie du chœur et l’autel fastueux. Ensuite, ils se rendirent au réfectoire, vaste salle très claire, blanchie à la chaux, où, malgré la propreté des tables et la remise à neuf des murs, persistaient des odeurs fades, les douceâtres relents des anciennes nourritures. À peine si Sébastien toucha du bout des lèvres au déjeuner : du lait chaud, servi en d’énormes jattes de fer blanc. Ce ne fut que dans la cour de récréation qu’il put reprendre possession de soi-même, recouvrer la notion du lieu où il était, reconstituer à peu près le souvenir de ce qui venait de se passer de violent, d’insolite dans sa vie. Quoiqu’il éprouvât, à ce moment même, une impression pénible d’abandon, d’exil, la sensation douloureuse d’être arraché à des habitudes, à des joies, à des libertés vagabondes, l’angoisse d’être emmuré désormais dans de l’inconnu, il aspira, délicieu-