tour de la route il ralentit le pas. Il attendrait que les voitures et la bande des élèves eussent disparu, et puis il se mettrait à courir. Mais une pensée le glaça. Où donc aller ? Devant lui, derrière lui, partout, la solitude morne, le désert. Pas une maison, pas un abri en cet espace de cauchemar, en cette spectrale nudité terrestre. À l’horizon qu’envahissaient des brumes violacées, pas un clocher ; un ciel implacable au-dessus de sa tête, un ciel maintenant enduit de plomb opaque, que des corbeaux, par troupes affamées, traversaient sans interruption. Et, tout petit, avec sa longue redingote qui lui faisait dans le dos des plis ridicules, et dont les basques caricaturales flottaient comiquement autour de ses jambes, il regagna les diligences, continua de les suivre, souhaitant de n’arriver jamais.
À Malestroit, près d’un vieux pont, on s’arrêta pour relayer et pour dîner : dîner morne, dans une sale auberge, sous des poutres enfumées, parmi d’intolérables odeurs de cidre aigre et de graisse rance. Personne ne parlait, étourdi par le voyage, et Sébastien, relégué à l’un des bouts de la grande table, que des femmes servaient, en corsages brodés, en coiffes ailées de religieuses, ne mangea point. Un affaissement physique, une sorte d’anéantissement moral remplaçaient la surexcitation aiguë de ses nerfs, maintenant détendus et meurtris. Sa tête était vide, sa volonté paralysée. Il ne pensait plus à rien, ni au passé, ni au présent ; il ne sentait rien, ni ses jambes endolories, ni ses reins rompus, ni la pesante boule de plomb qui lui emplissait l’estomac. Hébété, ses mains cachées sous la table, il regardait devant lui, sans voir,