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dans un abîme, comme dans un tombeau, mort, avec la sensation atroce et confuse d’être mort, et d’entendre, au-dessus de lui, des rumeurs incertaines, assourdies, de la vie lointaine, de la vie perdue. Il ne s’aperçut même pas que, tout près de lui, un homme qui fuyait tourna tout à coup sur soi-même et s’abattit, les bras en croix, tandis qu’un filet de sang coulait sous le cadavre, s’agrandissait, s’étalait.

Le feu de la batterie se ralentissait, agonisait. Il s’éteignit tout à fait, dans un silence d’autant plus lugubre que le feu de l’ennemi redoublait… Il s’éteignit tout à fait, et la retraite sonna.

— Lève-toi ! dit Bolorec à Sébastien.

Sébastien ne bougea pas.

— Lève-toi donc !

Sébastien ne bougea pas.

Bolorec le secoua rudement, par l’épaule.

— Lève-toi donc ! nom de Dieu !

Alors Sébastien, les prunelles égarées, reconnaissant à peine Bolorec qui le soutenait comme un blessé, se dressa, lentement, machinalement, avec des airs de somnambule.

— On fiche le camp, viens !

À ce moment même, un jaillissement de fumée, une lueur fauve, une détonation aveuglèrent Bolorec et l’éclaboussèrent de poudre brûlante et de gravier. Cependant, il resta debout, étourdi seulement, suffoqué comme par un grand vent d’orage. Mais il avait senti brusquement que Sébastien avait glissé de ses mains et qu’il était tombé. Il regarda sur le sol. Sébastien gisait, inanimé, le crâne fracassé. La cervelle coulait par un trou horrible et rouge. Les mobiles avaient fui. Bolorec