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lui donna de grands coups de poings dans le dos… Leguen tomba… Moi j’étais là ; je ne dis rien… Mais je me promis une chose… Et cette chose…

Un obus éclata, tout près d’eux, et les couvrit de terre. Bolorec reprit :

— Et cette chose… Tu ne m’écoutes pas ?…

Sébastien gémit :

— Si, si, je t’écoute.

— Et cette chose…

Il se rapprocha plus près encore de Sébastien et lui dit à l’oreille, très bas :

— Eh bien, c’est fait… Hier, j’ai tué le capitaine.

— Tu l’as tué ! répéta Sébastien.

— Pendant qu’on se battait, hier, il était devant moi… Je lui ai tiré un coup de fusil dans le dos… Et il est tombé les deux mains en avant et il n’a plus bougé.

— Tu l’as tué ! répéta machinalement Sébastien.

— Raide !… C’est juste !

Bolorec se tut et regarda la plaine.

Les feux de mousqueterie se rapprochaient et la canonnade s’acharnait. C’était un grondement sourd, continu, soutenu par d’épouvantables secousses qui semblaient fouiller et distendre les profondeurs souterraines, et par des déchirements aériens qui hachaient l’atmosphère comme de la toile. Autour de lui, les obus labouraient la terre, et leurs éclats, sifflant avec des ricanements sinistres, retombaient en rafale serrée de mitraille. La batterie ne répondait plus que faiblement à intervalles inégaux et plus longs. Déjà, trois pièces démontées, leurs affûts brisés, se taisaient. Et la