Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/363

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Sébastien ne répondit pas.

Alors Bolorec se mit debout, se détourna un instant, et il aperçut la batterie dans une sorte de rêve affreux, de brouillard rouge, au milieu duquel le capitaine revenu, droit sur son cheval, commandait en brandissant son sabre, au milieu duquel des soldats s’agitaient tout noirs. Un homme tomba, puis un autre, un cheval s’écroula, puis un autre. Bolorec se recoucha près de Sébastien…

— Dis donc ?… Je vais te raconter quelque chose… Tu m’écoutes ?

— Oui, je t’écoute ! murmura Sébastien d’une voix faible et qui tremblait.

Et, très calme, Bolorec conta :

— Mon capitaine était de chez moi… Tu l’as vu, hein ?… un petit, noir, trapu, nerveux, insolent… Il était de chez moi… C’était un noble, très dur, et qu’on n’aimait pas, parce qu’il chassait les pauvres de son château et qu’il défendait qu’on allât se promener dans son bois, le dimanche… Moi, j’avais la permission, à cause de papa qui était du même parti… mais je n’y allais pas, parce que je le détestais… Il s’appelait le comte du Laric… M’écoutes-tu ?

Sébastien murmura encore très bas :

— Oui, je t’écoute…

Bolorec se souleva à demi sur ses coudes, et plaça sa tête sur ses deux mains réunies.

— Il y a trois semaines, poursuivit-il, nous faisions une marche… Le petit Leguen, le fils d’un ouvrier de chez moi, fatigué, malade, ne pouvait plus avancer… Alors, le capitaine lui dit : « Marche ! » Leguen répondit : « Je suis malade. » Le capitaine l’insulta : « Tu es une sale flemme ! » et