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quittés. Pendant leur séjour au Mans, ils sortaient ensemble et rôdaient par la ville. Durant les marches, ils se retrouvaient aux haltes, aux étapes. Le soir, Bolorec venait souvent se glisser sous la tente de Sébastien, et lui apportait des bouts de saucisson, de pain blanc, qu’il dérobait, le diable sait où ! Ils restaient le plus longtemps qu’ils pouvaient, l’un près de l’autre, se parlant rarement, mais se sentant unis par une tendresse forte, par des liens de souffrances et de mystère, infiniment puissants et imbrisables. Quelquefois, Sébastien interrogeant Bolorec :

— Enfin, qu’est-ce que tu fais à Paris !

— Je fais… je fais… tu verras, tu verras !…

Il demeurait impénétrable, mystérieux, ne répondant que par gestes prophétiques et que par allusions vagues et inachevées à des choses que Sébastien ne comprenait pas.

Il lui demandait encore :

— Et la guerre ?… Tu n’as pas peur ?

— Non !… je la déteste, parce que ce n’est pas juste… Mais je n’ai pas peur.

— Et si tu étais tué, Bolorec ?

— Eh bien, quoi ?… Je serais tué.

— Et si je l’étais, moi, Bolorec ?

— Eh bien !… tu serais tué.

— Dis-moi donc ce que c’est que la grande chose ?

Les yeux de Bolorec s’enflammaient, et il bégayait d’une voix pâteuse, avec d’extraordinaires grimaces, qui le rendaient terrible :

— C’est… c’est… c’est la justice !… Tu verras… tu verras !

Sébastien, en courant, évoquait tous ces souve-