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choquées. Les coteaux restaient encore dans une ombre inquiétante pleine du mystère de cette invisible armée, qui, tout à l’heure, allait descendre dans la plaine, avec la mort ; et le ciel, au-dessus, était tout gris, d’un gris uniforme et vert-de-grisé annonçant la neige. Quelques flocons volaient dans l’air. De minute en minute des coups de fusil, disséminés dans l’immense étendue, claquaient, secs, très loin, comme des coups de fouet.

— Je crois que ça va chauffer aujourd’hui ! répéta le compagnon, très pâle.

Sébastien s’étonna de n’avoir pas vu Bolorec qu’il avait quitté la veille avant l’engagement. Son bataillon campait près du sien, et depuis qu’ils étaient partis du Mans ensemble, ils avaient l’habitude, chaque soir, de se retrouver, sauf les jours de grand’garde et de corvées aux vivres. Bolorec était ce qui le raccrochait à la vie. Par lui, il avait encore conscience de son être réel, sensible et pensant. Que deviendrait-il sans Bolorec ?

Après trois jours de marche forcée, en arrivant au Mans, qui regorgeait de troupes débandées et errantes, la première figure qu’avait rencontrée Sébastien, ça avait été Bolorec. Bolorec en mobile ! Bolorec arrêté devant une boutique de libraire et regardant les dessins de journaux illustrés.

— Bolorec ! avait-il crié, défaillant de joie.

Bolorec s’était retourné, avait reconnu Sébastien qui, pour se faire voir, agitait en l’air son fusil. Alors il était venu se mettre à côté de lui, en serre-file. Trop ému, Sébastien n’avait pu que bégayer ces mots : « Comment, c’est toi, Bolorec ?… c’est toi ! » Et Bolorec, engoncé drôle-