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IV


On s’était battu, la veille, aux environs de Marchenoir, petit village du Loir-et-Cher. La journée était restée indécise, et les troupes, le soir, campaient sur leurs positions. Le lendemain, au matin, dans la grande plaine désolée et sombre, deux fermes incendiées par le canon brûlaient encore. Il était cinq heures lorsque sonna le réveil. La nuit avait été rude : les hommes n’avaient pu dormir à moitié gelés de froid sous leurs tentes sans paille, à moitié morts de faim, aussi, car ils étaient sans vivres, l’intendance, en prévision d’une défaite plus rapide, ayant reçu l’ordre de battre en retraite, au moment précis de la distribution. On empaqueta les tentes ; on boucla les sacs ; quelques feux brillèrent, autour desquels de noires silhouettes humaines s’entassèrent, accroupies et tremblantes. Çà et là, les baïonnettes des fusils en faisceaux jetaient des lueurs farouches, et les sonneries de clairon, se répondant, rompaient, seules, le silence morne du camp.

Sébastien avait passé une partie de la nuit, en