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Et j’ai un remords, un remords qui me poursuit, maintenant. Mme Lecautel et Marguerite, vers deux heures, ont sonné à la grille de la maison. Je les ai vues et j’ai dit à la mère Cébron de leur répondre qu’il «n’y avait personne». Elles sont reparties, Marguerite très pâle, regardant les fenêtres de ma chambre de ses yeux obstinés, Mme Lecautel, très triste sous son châle noir, un peu voûtée. Je les aime — ah ! je les aime toutes les deux — et je ne me sens plus le courage de les revoir… »

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Deux jours après, Sébastien recevait l’ordre de se rendre à Mortagne, où allait se former le bataillon de la garde mobile, dont il faisait partie. M. Roch voulut accompagner son fils.

— Et je verrai le sous-préfet ! dit-il. Je conférerai avec lui… Je conférerai aussi avec ton commandant… Ne te désole pas ! Je suis sûr qu’à cette heure où nous sommes, notre armée est déjà victorieuse sur toute la ligne !… D’ailleurs, il faut que chacun fasse son devoir ! Je fais bien le mien, moi, qui suis un vieillard ! Sapristi… la France est la France, que diable !

Il lui demanda ensuite :

— Ne te manque-t-il rien ?… As-tu fait tes adieux à tout le monde ?… Mme Lecautel ?…

Sébastien rougit. Il sentit combien, de les fuir, en un pareil événement, était absurde et méchant, et, le cœur brisé de sa lâcheté, il répondit :

— Oui, mon père.

Sébastien resta un mois entier à Mortagne, à faire l’exercice, à s’entraîner pour la campagne prochaine. La vie active et purement physique, la