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SÉBASTIEN ROCH

sonorités, des parfums, des désirs nobles, des ascensions dans de la lumière, et un amour, un amour infini de la souffrance et de la misère humaines. Cela se levait du fond de son être, de son être généreux et bon — cela se levait, frémissait et s’envolait, ainsi que, des champs fleuris et des bruyères ensoleillées, se lèvent et s’envolent les troupes d’oiseaux chanteurs. Perdu dans le vague de sa rédemption future, il ne s’apercevait pas que les minutes et que les heures s’écoulaient.

Les heures, les minutes s’écoulaient, et, lentement, par souvenirs successifs, toute son existence lui apparaissait, depuis les jours sans trouble où il allait à l’école, jusqu’à cette douloureuse nuit où il était là pleurant sur l’épaule de Marguerite. Jamais il n’avait mieux senti combien elle avait été vide, inutile et coupable, combien elle était menacée par l’infiltration continue de son vice, qui le laissait, sans résistance, sans force, la proie de toutes les turpitudes mentales, de tous les désordres du sentiment. Il en avait horreur et il pensait : « J’ai vingt ans, et je n’ai rien fait encore. Pourtant chacun travaille, fournit sa tâche, si humble qu’elle soit. Et moi, je n’ai pas travaillé, je n’ai pas fourni ma tâche. Je n’ai fait que me traîner comme un malade d’une route à l’autre, d’une chambre à l’autre, affaissé, criminel. J’ai été lâche, lâche envers moi-même, lâche envers les autres, lâche envers cette pauvre enfant qui est là, lâche envers toute la vie qui se désole de mon inactivité et de mes folies… Vais-je donc perdre ma jeunesse, comme j’ai perdu mon adolescence ? Non, non, il ne faut pas que cela soit ! » Il imaginait des apostolats grandioses et incertains, mêlés