Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/338

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et Marguerite, d’une voix pâmée, grave en même temps, et qui restait presque candide, soupirait :

— Oui !… oui !… c’est gentil !

Leurs caresses se mêlèrent. Gauchement, brutalement, il la posséda.

… Ce fut, d’abord, comme un étonnement, comme une crainte du réel, retrouvé après un mauvais rêve. Durant quelques secondes, il eut la méfiance de ce ciel lacté, au-dessus de lui, et des blancs troncs des trembles s’enfonçant, pareils à des fantômes, dans la claire nuit de l’allée. Puis il se sentit brisé, et triste affreusement. Marguerite était près de lui, sur lui, les deux bras autour de son cou, et qui disait d’une voix douce, d’une voix lasse, d’une voix heureuse :

— Sébastien !… Mon gentil petit Sébastien !

Il n’éprouvait plus de colère, plus de dégoût, plus rien que de la détresse. Les folies qui venaient de lui montrer, par de si horribles lueurs, les fonds immondes de son âme, s’étaient en allées. Cependant, il fut presque surpris que ce fût Marguerite qui fût là, et qui parlât. Sa pensée était ailleurs, était loin. Elle était là-bas !… Elle était dans l’embrasure de la fenêtre du dortoir ; elle était sur les grèves, dans les bois de pins, charmée d’une voix qui se confondait avec celles de la mer et du vent ; elle était dans la chambre où voletait, capricieux et léger, le tison rouge de la cigarette, et elle la regrettait. La regrettait-il ?… Il s’y complaisait et ne la maudissait plus. Et de ne plus la maudire en cette minute, n’était-ce pas la regretter ? Il dénoua doucement les bras de Marguerite, et doucement, avec des gestes fragiles, il se dégagea de son embrassement.