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— Tais-toi… tais-toi !

— Est-ce que je ne suis pas assez gentille ? Je voudrais être si gentille que tu ne me quitterais jamais… Ah oui ! je rêve que nous partons ensemble… Veux-tu que nous partions, dis ?

— Tais-toi !… tais-toi !

Il lui saisit les mains, le poignet, le bras, les serra d’une force à les broyer, à en faire jaillir le sang. Et sa main courut aux épaules, s’arrêta, attirée et frémissante, au bord de la gorge.

— Oui, c’est là que ça me monte, quelquefois… que ça m’étouffe… Caresse-moi.

Marguerite se livrait, tendait tout son corps à cette meurtrière étreinte qu’elle croyait être de l’amour, et dont elle ne ressentait même pas la douleur, fondue dans la volupté infinie qui s’emparait d’elle.

— Oui, oui, caresse-moi encore… Et puis, embrasse-moi… C’est vrai, ça, tout le monde s’embrasse… Il n’y a que moi !

— Tais-toi !… tais-toi !

Mais elle ne se taisait pas… Elle se rapprochait encore, se collait, toute, contre lui, l’enlaçait, disait :

— Prends-moi, comme Jean prend sa femme… Je les vois souvent, le soir, de ma chambre, quand ils se couchent… Ils s’embrassent, ils se caressent… Si tu savais !… Si tu voyais !… Ah ! c’est si gentil !

Subitement, à cette vision évoquée, les doigts de Sébastien se détendirent, et l’affreuse étreinte s’acheva en caresse. Il dit, d’une voix rauque encore, mais affaiblie :

— Alors, tu les vois, quand ils se couchent, c’est vrai ?