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manda t-il… Mon père, suivant son habitude, a pris le journal, et je ne sais rien.

— C’est toujours la même chose, répondit Mme Lecautel… On dit cependant que la guerre est inévitable.

Mme Lecautel ne croyait pas commettre d’indiscrétion en lisant, chaque matin, avant de les remettre au facteur, les journaux qui lui plaisaient. Aussi était-elle au courant de tout ce qui se passait, particulièrement des affaires militaires, auxquelles elle s’intéressait, par une habitude ancienne, et dont elle n’avait pu se désaffectionner.

— Et tenez, Sébastien, poursuivit-elle, si nous avons la guerre, comme c’est probable, car l’honneur national me paraît trop engagé, en cette question, n’aurait-il pas mieux valu que vous fussiez soldat, depuis longtemps ?

— Mais, puisque Sébastien a acheté un homme, mère, s’écria tout à coup Marguerite.

— Eh bien, qu’est-ce que cela fait ? Il n’en sera pas moins obligé de partir.

— Alors, fit Marguerite, devenue soucieuse, et l’homme qu’il a acheté ?

— Il partira aussi.

— Comment, tous les deux ?… Mais c’est très injuste, c’est un vol.

Gamine, elle menaça en riant sa mère de son ombrelle :

— Dis, petite mère, c’est pour lui faire peur, pas ?

Et, changeant d’impression :

— C’est ça qui doit être beau, la guerre !… Des hommes !… tant d’hommes à cheval, avec des cui-