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Tout le jour aussi l’amour je ferai
La ridé !
Quand j’aurai quatorze ans
Avec mes galants
Avec mes amants
Qui sont jolis comme des goélands.


Mais Sébastien n’écoutait pas Bolorec qui disait encore :

— Regarde donc les gars, avec leurs vestes blanches et leurs verts épis de mil qui tremblent sur leurs grands chapeaux… Ils sont de chez moi, aussi, les gars…

Et il reprenait, en balançant la tête, musicalement :


Quand j’aurai quatorze ans…


Aux approches de Sainte-Anne, il fallut ralentir la marche et resserrer les rangs. La foule grossissait, arrêtée devant des boutiques où l’on vendait des médailles bénites, des scapulaires, des cœurs enflammés de Jésus, de petites images miraculeuses de sainte Anne et de la Vierge. Près des boutiques, sur des feux de lande sèche, de bonnes femmes faisaient griller des sardines et débitaient d’innommées charcuteries aux passants. Une odeur de cidre, d’alcool frelaté, s’aigrissait dans l’air, chargé de lourdes exhalaisons humaines. Couverts de vermines grouillantes, de fanges invétérées, soigneusement entretenues pour les pèlerinages, d’invraisemblables mendiants pullulaient et demandaient la charité, sur des refrains de cantiques. Et des deux côtés de la route, sur les berges, des estropiés, des monstres, vomis d’on ne sait