tantes et claires. Sébastien ne pensait, n’agissait, ne vivait, en un mot, que par la sensibilité : la vie nerveuse et sensuelle était, en lui, suraiguisée jusqu’à la maladie, jusqu’au déséquilibre physique. Tout l’impressionnait plus que les autres, et l’impressionnait à la fois, dans ses facultés perceptives les plus différentes. Il suffisait qu’un seul de ses sens fût affecté pour que tous les autres participassent à la sensation, en la quadruplant, en la prolongeant, chacun dans sa fonction propre. C’est ainsi qu’un son éveillait, en lui, simultanément, avec les phénomènes directs de sonorité, des idées correspondantes de couleur, d’odeur, de forme et de tact, par lesquelles il entrait véritablement dans le monde intellectuel et la vie sentimentale. La voix humaine avait une particulière puissance – une toute-puissance – sur son appareil cérébral et, de là, réagissait impérieusement sur sa volonté. Suivant qu’il en recevait des impressions agréables ou désagréables, il aimait ou détestait, il se donnait ou se refusait, sans trouver, en sa raison, un contrepoids mental à cet acte passif. Il se donna donc au Père de Kern, dont la voix avait vaincu le regard. Et ce fut, durant quelques semaines, une joie intense, profonde, sans trouble, une joie comme il ne se rappelait pas en avoir éprouvé, jamais, de meilleure et de si forte. Le Père s’institua son éducateur dans les choses qu’il aimait. Il était plein de science, possédait toutes les qualités qui rendent délicieuses les leçons et font qu’on s’y attache par un double plaisir. Il lui révéla les beautés de la littérature dont ses cahiers ne lui avaient laissé que des aperçus imparfaits, des images tronquées,
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