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le besoin de rompre ces silences accumulés, trop pesants, il parlait, parlait. Et c’était en phrases courtes, désordonnées, sans suite, des choses énormes, souvent grossières et gênantes, d’extravagants projets d’incendie du collège, des résolutions de fuites nocturnes, d’évasions palpitantes, le long des toits par-dessus les murs enjambés ; et quelquefois aussi, des histoires du pays, naïves et charmantes, des légendes de saints bretons, que lui avait contées sa mère. Ensuite, il retombait dans son mutisme accoutumé. Ce qui paraissait inexplicable à Sébastien, c’est que Bolorec avait l’absolu mépris des injures et des bourrades. Lorsqu’on le huait, lorsqu’on le battait, il ne se retournait même pas ; il allait un peu plus loin, d’un pas tranquille, sans se plaindre jamais, sans jamais se révolter. À la longue, cette attitude inerte avait fatigué les grands brimeurs, comme Guy de Kerdaniel. Il n’y avait plus guère que les petits roquets qui lui aboyassent aux jambes, sachant que c’était sans danger. Bolorec et Sébastien, toujours ensemble, en étaient arrivés à ne plus rien se dire. Ils passaient les heures de récréation, assis sous les arcades, près des salles de musique, et ils écoutaient, sans s’en lasser jamais, les gammes nasilleuses des violons, la sautillante gaieté des pianos, et les éclats de cuivre, sévères, déchirants, des pistons et des bugles.

— Je voudrais apprendre la musique, soupirait Sébastien.

Et Bolorec chantait, sur des paroles bretonnes, un air de danse très ancien, en scandant les rythmes d’un mouvement de tête balancé.