Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/115

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tirant de sa poche son couteau, s’apprêta à tailler le morceau de bois.

Et il ajouta, d’une voix tranquille :

— Tous !

Sébastien vit le château, une grande maison surflanquée de tourelles, d’appentis, de constructions angulaires et disparates, tout cela de guingois et triste comme une ruine. La mousse dégradait les toits ; des lézardes craquelaient les murailles, rayées de coulures pluviales ; sur la façade écorchée, galeuse, de larges plaques de crépi manquaient et l’herbe envahissait les avenues désablées, une herbe sale, gâchée avec les feuilles mortes, piétinée par les troupeaux, hachée par les charrois pesants. La grille monumentale et rouillée se couronnait d’un écusson descellé, qui grinçait, au vent, comme une girouette. Près du château, dissimulée derrière un massif de houx panachés, et séparée de lui par un fossé, plein d’eau bleuâtre et dormante, la ferme se tassait, basse, juteuse, immonde, formant une cour carrée, sorte de cloaque, où des landes coupées pourrissaient sur une couche épaisse de bouses anciennes. Une odeur de purin, une fermentation végétale, une exhalaison d’humanité croupissante, venait de là, intolérable et pestilentielle. Et, tout d’un coup, Sébastien aperçut M. de Kerral, un petit homme trapu, la face rouge, les moustaches blondes tombant de chaque côté des lèvres, les mollets guêtrés de cuir fauve. Il tenait à la main une cravache et frappait de petits coups secs sur le tronc des arbres, en sifflant un air de chasse. C’était, dans sa personne, un mélange de paysan et de gentilhomme, de soldat et de vagabond. M. de