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grand wagon, mal éclairé, il n’y avait qu’une vieille dame en noir, qui pleurait aussi, un gros homme en blouse qui dormait, la tête couchée sur un paquet noué avec une serviette, et, par dessus le dossier des banquettes, j’apercevais des figures de petits soldats, tout pâles, qui sans doute regagnaient le régiment… Je pensai à mon frère qui ne nous écrivait plus et qui était peut-être mort bien loin… Il me fut impossible de dormir… Ah ! comme le temps me parut long !… Qu’allait devenir mon père, à l’hospice ? Et les petites sœurs, dans cet orphelinat dont je revoyais les murs hauts et sombres, et si tristes, si tristes ! Et puis Paris, dont j’avais toujours entendu parler comme d’une chose terrible et qui tue les pauvres gens, Paris m’effrayait. Je me le représentais ainsi qu’une grande tombe pleine de feu et de fumée, dans laquelle on entre, et qui vous dévore. Je frissonnai à la pensée que j’allais être ensevelie là-dedans, pour toujours peut-être, et