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il n’y a pas de ma faute, je vous assure, monsieur ! Voilà comment ce malheur m’est arrivé, aussi vrai que vous êtes un brave homme.

La Renaude avait assis son enfant sur ses genoux et, après l’avoir embrassé goulûment, après avoir lissé ses petits cheveux blonds, elle commença ainsi :

— Mon père était tombé malade, une paralysie, à ce que disaient les médecins. Le fait est qu’il ne remuait ni bras, ni jambes, et qu’il était comme mort dans son lit. Il y avait à la maison trois petites sœurs qui n’étaient pas en âge de travailler, et mon frère, parti pour l’armée, ne donnait plus de ses nouvelles. Il fallait nourrir tout ce monde, et nous étions bien pauvres, bien pauvres. Nous vivions tous avec ce que je gagnais, c’est-à-dire que j’allais en journée chez des dames pour coudre et faire la lessive, quand je pouvais quitter mon père et mes petites sœurs. Quinze sous par jour, pour cinq personnes, il n’y a pas de quoi faire gras, je