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L’OUVRIER. — Hélas, voilà trois jours que je marche, et je n’ai rien mangé. Je suis brisé.

LE PASSANT. — Où donc vas-tu ?

L’OUVRIER. — Devant moi, toujours devant moi. Pendant la moisson, j’ai travaillé et j’ai chanté… Il était si bon, le bon pain bis ! Maintenant, les gerbes sont rentrées, les labours sont finis, les grandes machines battent le blé, vannent l’orge, dans les granges qui ne veulent plus du travail de l’homme, et mon maître m’a dit : « Va-t-en ! » Alors, je suis parti… J’ai frappé à toutes les portes, aucune ne s’est ouverte… Il n’y avait pas d’ouvrage pour moi… Hélas ! tu le vois, la terre est vide… Bientôt, les dernières feuilles vont être emportées, la neige blanchira le sol, la neige belle et cruelle comme la femme, la neige qui tue les oiseaux et les vagabonds… Et je n’ai pas un manteau pour me couvrir, pas un foyer où me réchauffer, pas un morceau de pain dur pour apaiser mon ventre… Que veux-tu que je devienne ? Il faut donc que je meure ?…