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barrassée des poésies inutiles, solidement fortifiée par la politique, n’était plus guère accessible à ces sensations artistes et vulgaires. Et puis, il faut bien le dire, ils avaient d’autres préoccupations. À mesure qu’ils s’éloignaient de la ville, qu’ils approchaient de ce redoutable pays d’Andorre, leur exaltation, faiblissant peu à peu, s’était tout à fait évanouie. Une sorte de malaise moral, de froid intérieur, les saisissait, leur faisait courir sous la peau de petits frissons désagréables. Et l’inquiétude vint, qui elle-même, bientôt, se transforma en une véritable angoisse. Comme ils ne voulaient rien montrer de l’état de leur âme, « nos duellistes » se rencognèrent, chacun dans sa voiture, faisant semblant de dormir, pendant que les témoins, très embarrassés de leur rôle et craignant de se rendre ridicules vis-à-vis de spadassins aussi exercés, piochaient un code de duel que l’ancien capitaine de gendarmerie leur avait prêté, en même temps que les pistolets d’arçon.