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de mille francs… Le crâne que j’avais laissé sur le parquet, baignait dans une mare rouge… Je le pris délicatement par le nez, et m’étant assis sur une chaise, je l’insérai entre mes genoux comme entre les mâchoires d’un étau… À grand-peine je parvins à y pratiquer une ouverture par où je fis s’écouler la cervelle, et par où j’introduisis les billets de banque. Je me crus obligé de faire toutes les plaisanteries que la situation commandait, et que facilitait beaucoup le crâne de mon camarade, aussi précieusement bourré, et l’ayant enveloppé dans un journal, je sortis, chantonnant sur un air gai ces paroles qui me poursuivaient toujours : « De l’argent ! beaucoup d’argent ».

La pluie avait cessé, maintenant. Dans le ciel sombre, de gros nuages roulaient, tout blancs de lune. Les passants qui rentraient chez eux envahissaient les trottoirs. L’un d’entre eux me bouscula si violemment que je faillis laisser tomber le crâne que je portais, sous le bras, comme un paquet. Au-