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pourquoi l’on n’aime pas, pourquoi l’on fait ceci plutôt que cela, pourquoi l’on vit, enfin ? Est-ce que l’on sait quelque chose ? J’étais tranquille, aussi heureux que peut l’être un homme qui n’a pas d’argent et qui, toute sa vie est condamné à travailler dans un Ministère. N’ayant pas de besoins, je n’avais pas d’ennuis, pas de responsabilités, et c’est le seul bonheur que puisse ambitionner un pauvre diable de ma condition.

Quand je réfléchis à ce qui m’est arrivé, je crois bien que ce qui me décida à me mettre cette corde — je devrais dire cette ficelle — au cou, ce furent les mains de ma femme, des mains admirables, longues et nerveuses, aux doigts souples et relevés légèrement du bout, des mains qui parlaient, je vous assure, et qui souriaient, et qui chantaient. Vous ne pouvez vous faire une idée de leur grâce, de leur élégance, de leur séduction, soit qu’elles tinssent l’aiguille à tapisserie, soit qu’elles versassent le thé, soit qu’elles tournassent les feuillets