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tures du monde ? Pourquoi ? je n’en sais rien, mais cela est ainsi. Eh bien ! parmi ces femmes laides, vous ne pourriez en trouver une qui fût aussi laide que ma femme. Elle est si laide, ma femme, si laide, que lorsque nous nous promenons dans les rues, le dimanche, les passants se détournent et ricanent. À dix-huit ans, elle semblait en avoir quarante. Le teint fané, l’œil cerclé de bagues rouges, le nez mince et plat à sa naissance, gros et violet à son extrémité ; des lèvres pareilles à une entaille dans de la chair malade ; un menton mou qui, chaque fois qu’elle parle ou mange, tremblote et disparaît dans la bouche, comme si la nature avait oublié de la pourvoir de dents et de mâchoires : tel est l’exact portrait de ma femme. Ajoutez qu’elle est maigre, tellement maigre que l’on dirait qu’elle est restée à l’état d’ébauche — et encore une ébauche d’ébauche. Alors, pourquoi me suis-je marié ? Ah ! oui, pourquoi ? Est-ce qu’on sait pourquoi l’on se marie, pourquoi l’on aime,