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jeunes filles avec des rameaux d’or et des bouquets qui l’accompagnent, le saluent comme s’il venait d’accomplir l’œuvre de vie et l’œuvre d’amour. À ceux-là qui ont le plus tué, le plus pillé, le plus brûlé, on décerne des titres ronflants, des honneurs glorieux qui doivent perpétuer leur nom à travers les âges. On dit au présent, à l’avenir : « Tu honoreras ce héros, car à lui seul il a fait plus de cadavres que mille assassins. » Et tandis que le corps de l’obscur meurtrier pourrit, décapité, aux sépultures infâmes, l’image de celui qui a tué trente mille hommes se dresse, vénérée, au milieu des places publiques, ou bien repose, à l’abri des cathédrales, sur des tombeaux de marbre bénit que gardent les saints et les anges. Tout ce qui lui a appartenu devient des reliques sacrées, et l’on se rend en foule dans les musées, ainsi qu’à un pèlerinage, pour y admirer son épée, sa masse d’armes, sa cotte de mailles, le panache de son casque,