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riage. Et ils ne se disent rien, comme s’ils craignaient de réveiller des tristesses endormies ; et ils ne se regardent pas, comme s’ils avaient peur d’apercevoir au fond de leurs regards des pensées de douleur, montant sur un flux de larmes. Et l’on n’entend rien, dans ce grand salon, que le froissement des feuillets du livre que Marcelle retourne toutes les cinq minutes, et les heures qui, jadis, furent si brèves et qui maintenant sonnent si longues, entre des éternités de silence.

Pourtant ces deux êtres qui sont là, tristes et mornes, ainsi que les ménages coupables ou ceux que la lassitude est venue séparer de chair, comme elle les a déjà séparés d’âme, ces deux êtres s’adorent. Jeunes, bons, ardents, Dieu les avait créés pour la joie de vivre et pour les célestes ivresses des passions bénies. Il n’était pas possible qu’une seule année eût vidé leur cœur de tout l’amour qu’ils y avaient entassé.

Non, ils s’adorent comme au premier