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souffrances de la triste veuve. Aussi, en ce grand château, maintenant si abandonné, Marcelle se trouvait-elle presque heureuse, entre la marquise de Perseigne, qui essayait de ramener le sourire à ses lèvres pâlies, et Jacques, qui la regardait de ses yeux doux et profonds, l’intéressait en lui contant ses aventures et ses travaux.

Jacques avait-il aimé la comtesse de Savoise ? On le disait, mais on n’en savait rien. Il est vrai que son brusque et si long voyage ressemblait bien à un exil, et l’on pouvait croire qu’il ne l’avait entrepris que pour se guérir d’un amour impossible. Il s’expliquait aussi par le caractère naturellement mélancolique de ce très particulier jeune homme, et le dégoût qu’il avait sans cesse manifesté pour l’existence servile qui va des amitiés menteuses des clubs aux vaines amours des salons. Un poète de ses amis avait dit de Jacques : « Il y a en lui du lion, du fakir et de la sensitive ». Du lion, il avait les colères superbes ; du fakir,