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terrible et si imprévu, on crut que Marcelle deviendrait folle. Elle ne pouvait arracher ses yeux à la vision horrible de ce cher cadavre. Hagarde, elle suppliait qu’on l’ensevelît avec lui. Pendant plusieurs jours, en proie à des attaques de nerfs, elle emplissait le château de ses cris de douleur. Cette première crise apaisée, la pauvre femme s’abîma en une prostration qui avait tout l’effrayant et tout l’inquiétant de la mort. Elle demeurait, des journées et des nuits entières, couchée sur sa chaise-longue, la tête vide, les yeux fixes, la bouche ouverte, les lèvres froides et raidies, immobile ainsi qu’une statue de cire. Refusant les soins de sa femme de chambre, ne prenant aucune nourriture, ne parlant pas, ne dormant jamais, Marcelle, dans le néant de sa vie semblait attendre le néant de la mort. Elle ne mourut point, pourtant. Peu à peu, et sans efforts, le passé qu’elle se prit à revivre, les souvenirs qu’elle se prit à rappeler, un par un, lui coulèrent