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tume qui avait empoisonné toute sa vie.

Son beau-père habitait, à une quinzaine de lieues de Freulemont, un village qu’on appelait Le Jarrier. Depuis son mariage, Dugué ne l’avait pas revu, et il ne s’inquiétait pas plus du bonhomme que de l’empereur de Russie. Il apprit même avec une suprême indifférence que le vieux était souvent malade, et qu’il avait parfois des attaques si terribles — « des coups de sang » — que le curé jugea à plusieurs reprises qu’il devait l’administrer. Dugué disait à ce propos : « Y peut ben trépasser, si ça y fait plaisi ; j’l’empêchons point… » Il avait décidé qu’il n’irait pas à l’enterrement, ni lui, ni sa femme, parce que « quinze ieues, c’est loin et qu’ça cout’ gros d’voitures ». La vérité, c’est que le gendre était parfaitement convaincu que le beau-père ne possédait pas « tant seu’ment un radis », par conséquent peu lui importait qu’il vécût ou qu’il mourût.

Un matin, Dugué reçut une lettre du