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gué ! — Heu ! ça pourrait ben s’ l’ver, l’vent est haut ». Les jours de grande gaîté, quand il avait son coup de « raide », il ne manquait jamais de me dire, non sans une pointe de malice en ses petits yeux clignotants : « J’ons vu un gros ieuvre à nuit… I s’a l’vé, là, dans la plante, tout cont’ la maison… Ben sûr qu’ vous l’ trouverez dans les betteraves à Maît’ Pitaut ». Hormis cette débauche rare de confidences, le père Dugué restait silencieux et songeur, comme sont les vieux chiens, comme sont les vieux hommes des campagnes.

Dans sa jeunesse, on lui proposa, sans qu’il lui en coûtât un sou, de lui apprendre l’état de boucher, un bel état et qui rapporte gros. Il refusa net : « D’pè en fi, dit-il, j’ons été dans la tè ; et mè, itout, j’s’rons dans la tè ». Son ambition eût été de louer une petite ferme, mais il n’y fallait pas songer, car il manquait de garanties, et il ne possédait point d’argent pour acquérir l’outillage nécessaire. Il se résigna donc à être