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Je lui donnai encore quelques mûres, des vers et des mouches, qu’il avala avec une visible satisfaction, en me regardant d’un air de reconnaissance ; et, lui ayant laissé une provision de nourriture, je continuai mon chemin…

Tous les jours, je passais en cet endroit, et je m’arrêtais auprès du vieil orme. Le crapaud ne tardait pas à paraître. Je le gorgeais d’insectes, et lui, pour me remercier, me racontait toutes les aventures de sa vie, ses longs sommeils d’hiver sous les pierres gelées ; la cruauté des hommes quand, après les pluies chaudes, il sortait de sa retraite et s’égarait dans la campagne, foulé par les pieds, poursuivi par les dents des fourches ; tous les coups de bâton et tous les coups de sabot dont sa peau gardait encore les traces ; et j’admirais combien ce patriarche avait dû dépenser d’adresse, de prudence, de véritable génie, pour arriver, sans trop d’encombres, à travers les dangers et les embûches, malgré la haine des hommes et des