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voiture sur une route, loin d’ici, dans je ne sais plus quel pays.

— Tu as encore tes parents ?

— Mon père est mort.

— Et ta mère ?

— Je ne sais pas.

— Mais comment es-tu seul, ainsi ?

— Ah ! bien, voilà ! Mon père avait une grande voiture jaune, qui était notre maison. Nous allions de ville en ville. Mon père raccommodait la porcelaine et raiguisait les couteaux. Moi, je soufflais la forge, et je tournais la meule, et le chien gardait la voiture. On s’arrêtait à l’entrée des pays ; les chevaux mangeaient l’herbe des talus, et puis, quand on avait gagné une bonne journée, on faisait cuire la soupe au bord de la route… et mon père me battait. Mais il y a bien longtemps de ça ; je n’étais pas grand comme aujourd’hui. Puis mon père s’est cassé les deux jambes, puis après, comme il ne pouvait plus travailler, il s’est mis à mendier, et moi aussi. Il avait vendu la