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visible, apparaissait, striant le ciel d’un nuage de vapeur légère et grise ; de place en place, en cette immensité délicieuse, quelques bateaux de pêche, pareils à des oiseaux noirs, étaient coquettement posés sur les flots, et la côte se noyait avec la mer et le ciel, dans une brume éclatante.

Jean Donnard, toujours assis à la barre, n’avait pas adressé une seule fois la parole à son équipage ; il ne parlait jamais que pour commander. Ses hommes dormaient, couchés sur les filets ; à l’avant, le petit mousse préparait le bois pour la soupe de poisson.

— Mais nous dérivons ! dit Jean Donnard. Il n’y a plus de vent dans la toile. Allons, amène les voiles et souque sur les avirons.

Aucun ne bougea.

— Eh bien ! m’a-t-on entendu ? cria le patron d’une voix tonnante.

Alors Pierre Kerhuon se leva lentement, regarda ses compagnons d’un œil louche et, s’adressant à Donnard :

— Jean Donnard, dit-il, tu aurais mieux