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flots, si loin des luttes et des douleurs humaines, si loin de la haine qui est au fond de toute la vie !…

Et la nuit vient, une nuit tranquille, sereine et magnifique, une nuit qui laisse traîner dans son ombre transparente des lueurs empourprées. Pareille à une femme qui reçoit l’époux, la mer s’est parée de caresses plus douces, et le ciel a revêtu ses colliers de perles et de diamants sur sa robe tissée de vapeur bleue. Le bateau s’avance dans un bouillonnement de feu, traçant derrière lui une route de lumière qu’on dirait faite avec de la poussière d’étoiles.

Nous sommes arrivés au mouillage où nous devons prendre tant de poisson. Tous les trois, la manœuvre achevée, nous nous asseyons autour de la marmite qui bout et fume, et nous apporte aux narines l’odeur exquise d’une soupe au congre, préparée par le vieux Penhoat.

Le vent est tombé. Pas un souffle dans l’air. La mer reste immobile. À peine si